Les Plis du Sommeil, de Sophie Calle à Deleuze
Tentative de neuro-poésie du Sommeil
Les Dormeurs, Sophie Calle
Gilles Deleuze
Pli; définition (La Langue Française)
- Double épaisseur obtenue en rabattant sur elle-même une matière souple
- Ondulation, mouvement sinueux que présente un tissu flottant ou trop ample
- Marque demeurant sur une matière souple (étoffe, papier, etc.) qui a été pliée, volontairement ou non
- Usage, habitude (Par extension) (Figuré)
The folds, Carel Lanters
C'sur mesure.com "Les plissés, plis couchés: donner de l'ampleur"
Je marche, je laisse l'emprunte de mes pieds dans le sol.
Je me couche, je dors, je laisse mon emprunte dans le lit. Les plis et replis de mes draps au réveil me dessinent-ils? Que disent ils de moi? Peut-être seulement: Elle est passée par là.
"J'ai demandé à des gens de m'accorder quelques heures de leur sommeil. De venir dormir dans mon lit. De s'y laisser photographier, regarder. De répondre à quelques questions. J'ai proposé à chacun un séjour de huit heures. J'ai contacté par téléphone quarante cinq personnes: des inconnus dont les noms m'avaient été suggérés par des connaissances communes, quelques amis et des habitants du quartier appelés à dormir le jour, tel le boulanger. Vingt neuf personnes ont accepté de venir dormir. Cinq d'entre elles ne se sont pas présentées: une babysitter engagée par intérim au dernier moment et moi-même nous sommes substituées à elles. L'occupation du lit a commencé le dimanche 1er avril à 17h et s'est terminée le lundi 9 avril à 10h. Vingt-huit dormeurs se sont succédés. Je posais quelques questions à ceux qui s'y prêtaient. Il ne s'agissait pas de savoir, d'enquêter , mais d'établir un contact neutre et distant. Je prenais des photographies toutes les heures. Je regarderais dormir les autres. Seule nécessité, l’occupation du lit. Vide, il m’inquiète"
Sophie Calle, Les Dormeurs
Quel est votre âge, votre profession, dormez vous bien, voulez vous des draps propres, vous endormez vous avec de la musique? D’autres questions relèvent plus du dialogue, du double jeu: ce qui a incité les dormeurs à donner leurs heures de sommeil, comment ils imaginent le dormeur suivant, s’ils regrettent d’être venus, s’ils ont l’impression de faire un travail ou de participer à quelque chose d’artistique, réponse négative la plupart du temps.
Les photographies en noir et blanc des Dormeurs montrent des draps qui recouvrent des corps mais aussi des draps froissés une fois que les corps sont partis. Drapés sans corps. Ces plis comme vestiges d'une présence, séquelles d'un sommeil. L'enveloppe, la peau d'un fruit qui aurait été laissée là une fois le fruit mangé.
Plus mes draps sont froissés, plus j'ai mal dormi? Une citation qui serait attribuée à Kerouac exprime bien cette idée: "Tout est en désordre. Les cheveux. Le lit. Les mots. La vie. Le coeur"
L'HOMME DANS LES DRAPS, Alain Fleischer, 2003, vidéo de 10'
Vidéo en noir et blanc constituée d’un stop motion animant en plan fixe un drap blanc. Ce drap se contorsionne en agissant sur sa propre ombre qui évolue progressivement vers son état final qui est une tête humaine de profil.
Quand la lumière entre à nouveau dans la chambre après la nuit, elle crée sur les draps blancs des profils d'hommes. Le profil que je laisse à mes draps le loisir de projeter sur mon lit a-t-il quelque chose à voir avec le mien? Dans la vidéo d'Alain Fleischer, les draps bougent, les visages se métamorphosent, évoluent en fonction des ombres portées. Qui sont-ils, ceux qui viennent après moi?
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Parfois, le drapé prend ses aises, oublie le corps dont il s'émancipe. Drapé sans corps, il peut alors prendre une allure anthropomorphique autonome comme dans le tableau "Le lit défait" de Gustave Courbet. Les plis du drap peuvent y révéler un visage de profil,
aquilin qui semble même déposer un baiser sur l'oreiller.
Le lit défait, Gustave Courbet
Le Lit Défait, Imogen Cunningham, 1957
Mon lit, Henri Cartier Bresson, 1962
Les plis des draps peuvent représenter comme une mémoire de notre enfoncement, voire même de l'enfouissement de notre corps dans notre lit, notre sommeil. Je m'enfouis sous mes draps. Carapace drapée. Je m'enrobe de nuit. A voir, les draps qui recouvrent les corps endormis du sculpteur JEANCLOS Georges (1933-1997), tels des gisants, certains presque momifiés. "Il ne montrait jamais le corps, seulement le visage dans son caractère essentiel et permanent et les corps enfouis dans les plis de la terre "
Les Dormeurs, Jean CLos
A un degré supérieur, le sommeil pourrait-il être considéré lui-même comme un pli.
Est-ce que s'endormir ce n’est pas se plier ou même juste plier. Se plier au sommeil ou plier, obéir à l'injonction de dormir, répondre à un ordre qu'on pourrait considérer comme physiologique. Le sommeil pourrait il être considéré comme un pli de la vie ? Chaque nuit, une nouvelle inflexion apportée à la vie. Se refuser à ce mouvement pourrait il faire le lit d'une insomnie?
Mais d'abord, pour pouvoir dormir, il faut un territoire, un lieu "à soi" (voir La Ritournelle du Sommeil). Se créer en quelque sorte une cachette, un pli pour soi. Le philosophe Michel Serre, dans son livre "Habiter", évoque cette notion de prolongement de soi et d'Espace-pli.
"A peine me rappellé-je mon enfance heureuse où je connus l'exquise habitude d'habiter, le prolongement de la peau en linges et habits, le durcissement de l'habit en meubles et murs. Ce prolongement construit lentement un lieu remarquable, singularité sur un espace blanc. Non pas un point, élément générique où il se fond, rien donc, mais une différentielle d'inflation, ce que Leibniz, étrangement, nommait un point enflé, c'est à dire muni des plus petites relations possibles autour de lui: voilà le commencement de l'habitat. Non, l'homme n'est pas, comme dramatiquement le dit Pascal, un point perdu, fondu, absorbé, noyé dans l'espace, mais il habite un lieu, un renflement, un pli, une singularité locale de l'étendue, site, au contraire, très remarquable"
" Elle avait rappelé à soi tout ce qui d'elle était en dehors, elle s'était réfugiée, enclose, résumée, dans son corps ". Proust, Albertine disparue
Maintenant que j'ai trouvé où faire pli, comment y nicher mon sommeil?
Penchons nous (une manière de débuter par un pli) d'abord sur la physiologie du sommeil. Le sommeil est organisé selon deux processus: le processus S ou pression homéostatique "plus je suis réveillé, plus j'ai envie de dormir" et le processus C = l'horloge circadienne "alternance jour/nuit". Pour s'endormir il faut que le pression de sommeil soit suffisante et que notre cerveau nous donne l'information "c'est la nuit". Le point jonction (de rupture) se trouve à la coïncidence d’une faible promotion de la veille et d’une pression homéostatique élevée. On pourrait donc voir l’endormissement comme une inflexion, un pli de la veille. L'éveil qui tirerait sa révérence. L’alternance veille sommeil serait alors une alternance de plis?
"Pour qu'il y ait nuit, il faut qu'il y ait jour. Le jour introduit la nuit comme sa différence propre et comme l'alternance selon laquelle seulement il peut être jour: à la fois lumière et période. Double scansion, double alternance, de la lumière et de l'obscurité. Double rythme, solaire et lunaire, vigile et endormi. Balance rythmique des jours et des nuits". Tombe de sommeil , Jean Luc Nancy
Comme le dit Gilles Deleuze, au terme de son livre: Le Pli. Leibniz et le Baroque (1988), qui développe le concept du pli dans le baroque et plus encore. « Il s’agit toujours de plier, déplier, replier ». Bien que ce texte soit assez obscur, l'idée de faire de la nuit un moment baroque est finalement assez réjouissant. Il faudrait s'imaginer se lover dans ses draps et les laisser, par leur plis et replis, "baroquiser" nos nuits. Selon Deleuze, la spécificité du vêtement baroque réside dans le fait que le corps du porteur se perd sous la largeur du tissu plissé. Le corps fini est recouvert par d’innombrables plis d’étoffe qui deviennent quasiment autonomes par rapport à ce qu’ils entourent. Les contours précis du corps humain disparaissent en se transformant en contours imprécis d’un vêtement élargi dont on distingue à peine les lisières. Les draps, vêtements baroques de nos corps endormis.
"Si le Baroque se définit par le pli qui va à l’infini, à quoi se reconnaît-il? Il se reconnaît d’abord au modèle textile tel que le suggère la matière vêtue : il faut déjà que le tissu, le vêtement, libère ses propres plis de leur habituelle subordination au corps fini. S’il y a un costume proprement baroque, il sera large, vague gonflant, bouillonnant, juponnant, et en tourera le corps de ses plis autonomes, toujours multipliables, plus qu’il ne traduira ceux du corps". Gille Deleuze, Le Pli et le Baroque
Fiche Wikipédia: Le Baroque, qui touche tous les domaines, se caractérise par l’exagération du mouvement, la surcharge décorative, les effets dramatiques, la tension, l’exubérance des formes, la grandeur parfois pompeuse et le contraste, ce même contraste dont parlait Philippe Beaussant, musicologue, fondateur du Centre de musique baroque de Versailles: l’époque baroque a tenté de dire « un monde où tous les contraires seraient harmonieusement possibles ». A l'origine le mot baroque était un terme relevant de la bizarrerie et de l'étrangeté (=> Berrueco désigne en joaillerie un perle irrégulière). N'est ce rêves et cauchemars à l'appui? Un monde onirique, baroque, où tous les contraires sont harmonieusement possibles.
"Je ne suis plus qu'à moi-même, en moi-même tombé et mêlé à cette nuit où tout me devient indistinct. Je ne me distingue plu proprement du monde ni des autres, ni de mon corps ni non plus de mon esprit. car je ne peux plus rien tenir pour un objet, pour une perception ou pour une pensée, sans que cette chose même se fasse sentir comme étant en même temps moi-même et autre chose que moi-même. Il se produit une simultanéité du propre et de l'impropre telle que cette distinction tombe. Il n'y a de simultané qu'en régime de sommeil. C'est le grand présent, la coprésence de tous les compossibles, même les incompatibles. Cette autre chute - la chute des distinction- double la première et lui donne sa vraie consistance: je tombe de sommeil, c'est à dire que "je" tombe, que "je" ne suis plus ou bien que "je" n"est" plus que dans cet effacement de sa propre distinction. A mes yeux, qui ne regardent plus rien, qui sont tournés vers eux-mêmes, je" ne "me" distingue plus". Tombe de sommeil, Jean-Luc Nancy
La cauchemar, Füssli
Le Pli. Leibniz et le Baroque
L’insomnie pourrait être alors considérée comme un défaut de coïncidence par faiblesse de pression homéostatique et/ou une promotion de sommeil décalée ou peu marquée. Mais on peut voir aussi l’insomnie comme un refus de plier. De se plier au sommeil. Ne pas vouloir d'insérer dans la cadence obstinée de l'alternance jour nuit. Ne pas accepter l’inflexion initiale, ne pas adopter l’inclinaison qui fait changer de direction (Claire Marin, Les débuts). Parce que, pour s’endormir, il faut vouloir commencer, prendre une autre position, tirer le rideau, au sens propre et au sens figuré.
Pour s’endormir, il faudrait donc accepter de se plier, de quitter cette position d’homme debout. La position classique du dormeur est dite celle en chien de fusil. Dormir en chien de fusil signifie dormir sur le côté avec une ou les deux jambes repliées contre soi. Cette position permettrait de détendre le corps au maximum. On se détendrait donc mieux plié. On parle aussi de position fœtale. Le corps forme alors un S(ommeil).
Comme me l'a suggéré récemment Anna, une de mes infirmières, S comme Sommeil (sleep, sen, sono, somn, spanje, slaap). Encore un pli, une ligne serpentine inaugurale? Il faudrait pour initier le sommeil, se laisser aller à cette ondulation, se lancer dans les méandres sinueux de la nuit. Ou encore, en adoptant cette position horizontale, coucher le S(ommeil) et par cette disposition, accéder à une part transitoire d'infini? D'ailleurs, le CNRS a utilisé le symbole infini pour illustrer sa dernière publication "Les derniers mystères du sommeil".
"Gondran vire ses yeux à droite et à gauche: les dalles sont nues. On dirait que la descente du lit bouge. Sous la table, il y en a un! Il y a sous la table un serpent épais comme le pouce et qui dort plié en S" . Colline, Jean Giono
L'expression "en chien de fusil" fait référence à une pièce métallique que l’on retrouve sur les armes à feu : le chien du fusil. Elle permet de percuter l’amorce lorsqu'on appuie sur la gâchette. Une idée: Serait il possible de déclencher le sommeil comme une arme à feu, en appuyant sur la gâchette." Et PAN, je m'endors. Veille, je te tue pour la nuit?"
"Soit la position d’un dormeur : il faut que toutes les petites courbes, tous les petits plissements entre dans des rapports qui produisent une attitude, un habitus, un grand pli sinueux comme bonne position capable des les intégrer. La « bonne forme » macroscopique dépend toujours de processus microscopiques " (Deleuze, Le Pli et le Baroque)
Une autre citation de Deleuze qui lie plis et sommeil. Etonnant, cette étrange satisfaction de ne rien comprendre mais de toucher quand même un petit quelques chose. Peut être à couper?
"Encore une fois, le monde n’existant pas hors des monades, ce sont de petites perceptions sans objets, des microperceptions hallucinatoires. Le monde n’existe que dans ses représentations tels qu’ils sont inclus dans chaque monade. C’est un clapotement, une rumeur, un brouillard, une danse de poussières. C’est un état de mort ou de catalepsie, de sommeil ou d’endormissement, d’évanouissement, d’étourdissement. C’est comme si le fond de chaque monade était constitué d’une infinité de petits plis (inflexions) qui ne cessent de se faire et de de se défaire en toutes directions, si bien que la spontanéité de la monade est comme c’elle d’un dormeur qui se tourne et se retourne dans sa couche"
Quelques idées
Paradoxe: Je m'immobilise pour partir (dormir), je plie bagages sur place. Dormir: le meilleur moyen de prendre la poudre d'escampette
La guerre est terminée, repli. "C'est plié". Battre en retraite. S'endormir c'est renoncer à l'hypervigilance. Passer de l'état de tendu à détendu. Appuyer sur la détente. Reprendre le souple. Sûrement la difficulté des insomniaques: ils ne peuvent (ne veulent) pas lever le camp, tourner les talons
Plier sa vie pour la rendre de taille suffisante pour qu'elle puisse passer, se faufiler par la porte du sommeil afin de s'expandre à nouveau, paupières fermées, conscience close
Plier est synonyme d'emballer (plier les oeufs). Je m'emballe dans mon lit, dans mon sommeil. Je suis emballée à l'idée de dormir. La nuit, en m'enroulant dans mes draps, tel un sari, je me drape. L'habit devient l'habitat. Le lit: espace de répit et de repli
"Qu'est ce que c'est que faire des plis? Eh bien, faire des plis, c'est arrondir les angles" (Gille Deleuze). Et si le sommeil c'était pour ça. Pour arrondir les angles.
"Dans le vieillissement, ou de quelque façon qu'on nomme la manière dont les formes vivantes sont affectées avec le temps, les lignes s'étirent ou se contractent, s'enveloppent ou se développent à partir de points de courbure qui glissent, dansent les uns autour des autres, reconfigurant les constellations qu'ils forment tel un mobile". Voir les connexions synaptiques, à la lumière des ces concepts de Plier-déplier, envelopper-développer, comme des pliures, des points de courbure? Fascinant de concevoir les constellations de neurones et la plasticité neuronale sous cet angle
Neurones
Un Monde de Plis, Simone Pheulpin
Dormir c’est aussi rêver. Deleuze distingue les plis du dehors et les plis du dedans; replis de la matière et plis de l'âme. "L'âme se plie en elle-même, la matière se replie sur elle-même...Une âme ne saurait développer tout d'un coup tous ses replis car ils vont à l'infini"
Sans entrer dans une psychanalyse les rêves, le monde des rêves pourrait il permettre d'accéder aux plis du dedans? Nos souvenirs, nos émotions mal dépliées, recroquevillées. "Notre dedans comme un dehors plié "
L'assoupissement, qui se manifeste par le moment et le sentiment d'une chute, rend du même coup la pensée caduque. "Tomber de sommeil" revient à s'affaisser intellectuellement: l'individu somnolent glisse dans une torpeur qui dissipe son esprit et disperse ses idées.
"Si les mécanismes différentiels de nos perceptions claires s’enrayent, alors les petites perceptions forcent la sélection et envahissent la conscience, comme dans l’endormissement ou l’étourdissement " Gilles Deleuze
Autres plis: L’hypnogramme est une sorte de courbe résumé d'une nuit de sommeil. Le palier 0 correspond à la veille (l'éveil), les paliers 1 et 2 au sommeil lent léger, le palier 3 (le plus bas) au sommeil lent profond. Le palier rouge est atteint 4 à 5 fois dans la nuit et correspond au sommeil paradoxal (classiquement le sommeil des rêves). Il semble sur l’hypnogramme que les transitions d'un stade à un autre sont abruptes mais elles se sont font en fait de manière graduelle. Elles pourraient ainsi prendre l’aspect de plis plus que de cassures. Sur un plan microstructurel, on retrouve également des plis; les oscillations cérébrales dont la fréquence se ralentit au fur et à mesure que le sommeil s'approfondit.
Interpréter une polysomnographie (l'enregistrement électrophysiologique du sommeil), construire un hypnogramme, ce serait dessiner, révéler l'architecture du sommeil. Comme une skyline. La skyline de ma nuit. Chaque nuit, partir à New York. En sommeil paradoxal, je grimpe, j'escalade, je me hisse sur un gratte ciel. Couché dans mon lit, je prends la verticale. A 1h, le Crystal Building, à 3h l'Empire State, à 5h pourquoi pas la statue de la Liberté tant qu'on y est. A chaque fois, je remonte, je rêve.
Trop urbain? On change de décors, direction la montagne.
En géologie, un pli est une déformation des couches de terrain résultant de la contraction de l'écorce terrestre, et présentant des courbes de niveau.
"Dans bien des cas, cette poussée avait été assez forte pour incliner les deux flancs du pli dans le même sens (...) de manière à engendrer ce qu'on appelle des plis couchés ou isoclinaux" (Lapparent, Abr. géol., 1886, p.399).
"Le pli peut être une ride, comme celle d'un tissu sur un meuble, on l'appelle techniquement: anticlinal. Entre deux plis, le creux s'appelle: synclinal. Les forces tangentielles s'accentuent, le pli peut devenir un pli-faille" (Combaluzier, Introd. géol., 1961, p.124).
La géomorphologie (du grec γῆ, gé : la Terre, μορφή, morphé : la forme et λόγος : logos, l’étude) est l'étude scientifique des reliefs et des processus qui les façonnent sur les planètes telluriques. Les géomorphologues analysent les paysages, cherchent à en comprendre l'histoire et l’évolution à travers une combinaison d'observations de terrain et d'expérimentations en laboratoire.
Médecin du sommeil ou somnomorphologue? Somnomorphologie où chaque épisode de sommeil paradoxal correspondrait à une montagne, le sommeil léger à des plateaux et le sommeil profond à des lacs ou des océans, des fonds marins. Il s'agirait en sommeil paradoxal de se faire léger pour aller se hisser sur les cimes et rêver et de se faire lourd en sommeil profond pour plonger tout au fond. Et le reste du temps, rêvasser sur les plateaux.
En hydrologie, le lit est l'espace (le pli, la dépression) occupé par un cours d'eau, de façon permanente ou temporairement. Il regroupe deux entités distinctes :
- Le lit mineur, lit ordinaire ou « lit apparent », est le chenal où l'eau s'écoule habituellement avant débordement. Il peut être occupé en permanence ou de manière saisonnière. Il est souvent limité par des berges
- Le lit majeur, appelé aussi « plaine d'inondation » ou « lit d'inondation », est la partie adjacente latérale au lit mineur, inondée seulement en cas de crue, le plus souvent sur les deux rives. La bordure extérieure du lit majeur correspond au niveau de la plus grande crue historique enregistrée.
On définit encore sur certains cours d'eau un lit moyen, intermédiaire entre le lit mineur et le lit majeur, qui est l'espace occupé par le cours d'eau lors de crues courantes, telles que les crues saisonnières. Selon la taille du lit, on parlera de rivière ou de ruisseau.
Le type de lit d'un cours d'eau peut donc se définir selon le type de crue qui l'affecte.
On attribue à Brunetto Latini, encyclopédiste médiéval, la première utilisation du terme lit pour désigner l'espace occupé par un cours d'eau : "La rivière semble dormir, mais il lui arrive de sortir de son lit."
A méditer: les parasomnies du Sommeil lent profond (débordement, éclaboussure hors de l'espace réservé au sommeil profond), débordement du sommeil profond sur les berges de l'éveil? La Narcolepsie: un pli-faille trop profond? (encore une bonne idée de mon infirmière Anna)
Si on zoome encore, la micro-architecture cérébrale du sommeil est faite de plis également: oscillations cérébrales, cycles respiratoires
Rythme cérébral, du plus rapide au plus lent, du plus éveillé au plus profondément endormi
Plis et replis. Sullivan Goba-Blé
Simone Pheulpin, artiste "plieuse"
Je dors, j'oscille. Pour filer la métaphore de la somnomorphologie, plus le sommeil s'approfondit, plus je transforme les crêtes en vallons. Les ondes cérébrales se ralentissent; de fréquence alpha (de fréquence 8-12Hz), elles deviennent delta (de fréquence 2-4Hz). Le fleuve devient mer, méandres du delta. Plus les plis se font larges, plus je m'élargis. Je prends le large. A voir si c'est à ce moment là qu'on reprend la position sur le dos, étalé dans le lit. Ceci est également vrai pour la respiration, qui en sommeil lent profond est très régulière et lente. Comme mon cerveau, dans les abysses du sommeil profond, mes poumons prennent le rythme des vagues. A tel point que la période entre chaque cycle respiratoire, c'est à dire le temps qui sépare chacune de mes inspirations se rapproche de celui de la houle. Imaginez vous sur la plage, toutes les 10 à 14 secondes une vague déferle puis imaginez vous en sommeil profond, chaque 10 à 14 secondes, vous respirez. Une manière de se faire océan. S'endormir, ce serait accepter de prendre la vague, s'insérer dans le processus circadien, l'alternance jour/nuit. Et allons y franchement pourquoi pas, suivre ce rythme, surfer sur la houle de cette alternance et sur les ondes du sommeil, onduler. Plonger dans la vague (le vague?)
"Tous les nouveaux sports, surf, planche à voile sont du type insertion sur une onde préexistante. Comment se faire accepter dans le mouvement d'une grande vague, d'une colonne d'air "arriver entre" au lieu d'être origine d'un effort, c'est fondamental" (Entretiens de Gilles Deleuze dans Pourparlers, Ed Minuit 1990)
Caractéristiques d'une houle
La respiration, houle humaine, en sommeil profond
"Savoir nager, c'est savoir présenter d'abord à la vague l'aspect de son corps sous lequel ce corps se conjugue dans son mouvement avec le mouvement de la vague. Un bon capitaine, c'est suivant la nature de la tempête, celui qui met son bateau à la vitesse et dans la positon par rapport à la vague la meilleure pour que le mouvement du bateau et le mouvement de la vague se composent, au lieu de que le mouvement de la vague décompose la mouvement du bateau. Savoir danser, c'est la même chose. Savoir danser, c'est précisément présenter son corps sous l'aspect sous lequel il se compose, en terme de danse, avec celui du ou de la partenaire. C'est généralement ce qu'on appelle un rythme. C'est vraiment donc saisir les choses non plus sous l'effet qu'elles ont sur mon corps, en attendant cet effet, mais saisir les choses sous les compositions de rapports entre elles et mon corps" . Gilles Deleuze, Transcription du Cours sur Spinoza du 03/02/1981 à l'Université de Vincennes
Savoir s'endormir, ce serait savoir présenter à la nuit/au sommeil l'aspect de son corps sous lequel ce corps se conjugue dans son mouvement avec le mouvement de la nuit/du sommeil. Il ne s'agit plus seulement de mon corps face au sommeil mais de toutes les compositions de rapports qui peuvent exister entre la nuit, le sommeil et mon corps. De cette façon, je n'attends plus le sommeil (attente qui peut être douloureuse), mais je compose des rapports entre mon corps et le sommeil.
La Vague, Hokusai
Physiologie du sommeil
J'ai pas pu résister
Il est intéressant aussi de noter qu'à un niveau organique, nous sommes faits de plis : plis de l’intestin, circonvolutions cérébrales, plis des muqueuses. L’absence de plicature ou la perte de plicature ont été retrouvé dans un certain nombre de pathologies et peut être le signe de maladies neuro-dégénératives. Toute la complexité cérébrale est contenue dans les plis cérébraux. L’embryon se développe en se pliant. Dépliée, la surface du cortex humain atteindrait plus de 2 m2. Dans la boîte crânienne, le cortex est plissé jusqu'à former un relief complexe dont la géométrie varie d'un individu à l'autre. Les microcéphalies présentent des degrés différents de simplification du plissement cortical. Il semblerait que le pli soit vital. Toute la complexité de son organisme doit tenir dans sa toute petite enveloppe. Mon cerveau recroquevillé, plié dans ma boite crânienne
Circonvolutions cérébrales
Sullivan Goba-Blé
Simone Pheulpin, plieuse de temps
Le sommeil s’accompagne d’une hypotonie musculaire voire une atonie en sommeil paradoxal. Les plis du visage se détendent. Un intérêt de dormir pourrait être de se déplier les muscles, la peau. (Ce qui n’empêche pas de se retrouver le matin après une longue nuit de sommeil avec ce qu’on appelle « les rides du sommeil », qui sont ces plis du visage créés par une position prolongé, marquant les plis des draps)
Lâcher prise pour s’endormir et le rester serait un juste équilibre entre se plier et se déplier
Les pathologies cérébrales de type trouble de transition entre le sommeil et la veille, dont le somnambulisme pourrait être un défaut de pli.
"Elle n’a jamais fréquenté d’école d’art, n’a pas appris à tailler ni à modeler et pourtant Simone Pheulpin* fait preuve d’une maîtrise absolue du volume sculptural. Son matériau est des plus simples, de simples bandes de tissu de coton brut, et pourtant le rendu, noble et précieux, évoque mille matières : pierre fossilisée, écorce, corail, coquillage, ivoire…
L’origine de son art miraculeux surgit de souvenirs d’enfance. Née à Nancy en 1941, la créatrice a beaucoup joué dans des manufactures textiles vosgiennes produisant les tissus utilisés pour la fabrication de pneus automobiles. C’est ce même calicot blanc écru, non décati, qu’elle utilise aujourd’hui. Elle se le procure au mètre et découpe ses bandelettes aux dimensions nécessaires. Pas de dessin pour construire l’oeuvre ! « Je sais ce que je veux », proclame l’artiste, qui réfute le hasard et aboutit ses formes au bout d’un long et lent travail d’empilement, d’enroulage, de pliage, de serrage denses qui compose des structures complexes maintenues en leur coeur par des milliers d’épingles invisibles. Mais ce tissu préencollé, brut, « parfois n’y va pas » et impose son propre chemin. Et les incidents de parcours surgissent de la lutte entre matière et créatrice, quand le tissu commande, ouvrant à des formes nouvelles, impensées et provoquant une faille où se rompent et s’opposent les plis"
Un défaut de pli. Un faux pli. Entre-deux évoqué dans la préface de La Trilogie de Ralph Gibson, photographe américain né en 1939. La première partie de cette trilogie s’intitule "The Somnambulist" et traite du rêve et de son entre deux.
On peut aussi de demander si le somnambulisme ne serait pas également un défaut d'un pli d'un autre type, celui de rester plié dans le sommeil, à sa place. En se redressant de son lit, le somnambule se déplie, se montre (monstrum) au monde de la nuit.
Avoir autant d'assurance qu'un somnambule. Dépliez vous. Larguez les amarres
Somnambule, Ralph Gibson
La suite ici
A réfléchir: Thèmes les plus fréquents de la littérature baroque: mouvements, métamorphoses, déguisements (cf le rêve) compatibles avec l'image du pli
Procédés de dédoublements (récit dans le récit, théâtre dans le théâtre) rappellent l'image du pli sur pli. Principes d'irrégularité, mouvement, démesure. Tout ça converge vers le rêve
Concept de maison Baroque: étage d'en bas, de la matérialité, ouvert, donnant libre court à la fluidité de la matière et à l'élasticité du corps et l'étage d'en haut, le siège de l'âme, de l'esprit, pur intérieur, sans fenêtres ni portes
C’est l’étage d’en bas qui se charge de la façade, et qui s’allonge en se trouant, qui s’incurve suivant les replis déterminés d’une matière lourde, constituant une pièce infinie de réception ou de réceptivité. C’est l’étage d’en haut qui se ferme, pur intérieur sans extérieur, intériorité close en apesanteur, tapissée de plis spontanés qui ne sont plus que ceux d’une âme ou d’un esprit
Les deux étages peuvent communiquer (pendant le sommeil?). D’après la vision du monde développée par Leibniz, il existe donc une correspondance entre l’âme et le corps, l’esprit et la matière, correspon dance due à une affinité parfaite entre le monde visible et le monde invisibl
C’est un grand montage baroque que Leibniz opère, entre l’étage d’en bas percé de fenêtres, et l’étage d’en haut, aveugle et clos, mais en revanche résonnant, comme un salon musical qui traduirait en sons les mouvements visibles d’en bas
Dernier point: Zwiefalt: qui différencie et se différencie; la duplicité du pli. Colle aussi avec le sommeil. Coexistence d’une « poésie de l’introspection » et d’une « poésie de l’ostentation » à l’âge baroque. Sommeil: introspection "en réalité" et extrospection dans les rêves