La Ritournelle du Sommeil
De Moondog à Barbara
Ritournelle
Refrain qui reprend la même mélodie et les mêmes paroles; air à couplets répétés. Au figuré: Ce que l'on répète continuellement. Vient de l’italien Ritornello qui signifie petit retour.
Quels peuvent être les liens entre Sommeil et Ritournelles. Peut-on parler d'une Ritournelle du Sommeil?
Dans leur ouvrage Mille Plateaux, les auteurs G. Deleuze et F. Guattari associent le concept de la Ritournelle au chantonnement nocturne d'un enfant qui tente de se rassurer dans le noir, aux comptines et aux berceuses.
La ritournelle pourrait, selon eux, qualifier certains rituels animaliers (chez les oiseaux notamment), principalement gestuels ou chromatiques comme le rituel d'intimidation ou de séduction qui mobilisent des gestes, des postures, des couleurs, des chants. Il existerait donc des ritournelles picturales, posturales, gestuelles, tout autant que sonores qui existent à elles - seules. La Berceuse en tant que gestes chantés ou chant en mouvements parait en être un bon exemple. Elle fait partie, au même titre que l'Amoureuse, la Professionnelle, la Marchande, des ritournelles dites de fonctions territorialisées, c'est à dire qui prennent une fonction spéciale dans l'agencement.
"On peut dire que la ritournelle traverse toute l’œuvre de Deleuze. Dès ses premiers écrits, Deleuze lui-même écrit de petites ritournelles, comme une musique. Ses phrases sont cousues comme celui qui tisse un thème musical, une mélodie, une grande texture sonore, ou même un paysage sonore. Celles-ci ne correspondent pas à des ritournelles formelles, comme dans la musique traditionnelle (un grand thème qui revient à la répétition prévue par la forme musicale). Ce sont des micro et macro ritournelles, entremêlées, comme on les trouve, par exemple, chez Beckett, Péguy ou les « phrases commentaires » proposées par Olivier Messiaen. Deleuze réalise donc des petites ritournelles transitoires, comme si les mots pliaient l’écriture pour constituer des vortex de connexions libres" . Silvio Ferraz La Formule de la Ritournelle, 2012
Deleuze et Guattari
Pour Deleuze et Guattari, la Ritournelle, et par extension la Berceuse, peut se concevoir selon 3 plans:
- "Un enfant dans le noir, saisi par la peur, se rassure en chantonnant. Sa petite chanson est comme l'esquisse d'un centre stable et calme, au sein du chaos".
- "Maintenant on est chez soi. La ritournelle comme méthode d'organisation d'un espace. Tracer un cercle autour du centre fragile et incertain comme une ronde enfantine". La berceuse et le berceau comme tentative de territorialiser l'espace du sommeil en quelque chose de familier avec des repères. La berceuse comme une ritournelle d'apaisement, une tentative d'organisation au sein du chaos
- "Puis, enfin, on entrouvre le cercle, on s'élance. On sort de chez soi au fil d'une chansonnette". La berceuse comme point d'entrée dans le monde du rêve
A défaut de quelqu'un qui nous berce, il faudrait savoir chantonner, se chantonner pour s'endormir. Si tu sais chanter des berceuses, que ne t’endors-tu toi-même (proverbe Tadjik)
Un trouble du sommeil, les Rythmies d'endormissement, peuvent se rapprocher de cet tentative d'auto-bercement. Ce sont des mouvements répétitifs ou stéréotypés pouvant toucher soit la tête d’avant en arrière ou de droite à gauche soit un balancement du tronc ou de tout le corps qui ont lieu au moment de l’endormissement et peuvent se répéter de manière cyclique au cours de la nuit au moment des changements de cycles.
Ces mouvements peuvent s’accompagner de son (vocalisations).
Les rythmies sont fréquentes chez le nourrisson (66% des nourrissons). Elles débutent vers l’âge de 6 à 9 mois et avant 18 mois pour disparaître, en règle générale, vers 4 ans.
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On peut aussi concevoir le rituel du coucher comme une ritournelle comportementale avec ces 3 mêmes plans. Apaisement, territorialisation, point d'entrée pour un "ailleurs". Un point d'ancrage pour pouvoir se laisser aller au sommeil. Il faudrait savoir composer une partition, simple et efficace qui remplisse le contrat. Territorialiser l'espace sonore, le lit, la chambre, le corps. Créer un territoire réservé au sommeil, se "disposer" à dormir, prendre son temps en ayant soin d’arranger autour de soi son petit monde puis de se "poser" au lit. Une tisane, un bon livre, certains soins d’hygiène corporelle dont la répétition installe une éternité tranquille dans notre univers domestique. Un rituel d'usage à répéter chaque soir telle une ritournelle. Rituel. Ritournelle. Dites-le à haute voix, les deux se confondent.
Pour que ce rituel, cette ritournelle puisse survenir, il faut un lieu (la chambre) dans le lequel se créer un territoire (le lit). Comme une cellule dans un "Chambre à soi". Cellule: petit cellier, réduit où les moines prient, où dorment les prisonnier. Cellule: élément constitutif du vivant. Ma première brique.
Georges Perec, Espèces d'Espaces: "Habiter une chambre, qu’est-ce que c’est ? Habiter un lieu, est-ce se l’approprier? Qu’est-ce que s’approprier un lieu? A partir de quand un lieu devient-il vraiment vôtre ? Est-ce quand on a mis tremper ses trois paires de chaussettes dans une bassine de matière plastique rose ? […] Est-ce quand on y a éprouvé les affres de l’attente, ou les exaltations de la passion, ou les tourments de la rage de dents ? Est-ce quand on a tendu les fenêtres de rideaux à sa convenance, et poncé les parquets ? "
"On se protège, on se barricade; Les portes arrêtent et séparent. La porte casse l’espace, le scinde, interdit l’osmose, impose le cloisonnement : d’un côté, il y a moi et mon chez-moi, le privé, le domestique (l’espace surchargé de mes propriétés : mon lit, ma moquette, ma machine à écrire, mes livres, mes numéros dépareillés de La Nouvelle revue française…) de l’autre côté, il y a les autres, le monde, le public, le politique..."
Voir le chapitre La Chambre, sous le plancher de laquelle le grand-père de l'auteur s'est caché pendant la 2e Guerre Mondiale. La Cache; Christophe Boltanski
"C'est couché à plat ventre dans mon lit que j'ai lu Vingt ans après, L'île mystérieuse, Jerry dans l'île. Mon lit devenait cabane de trappeurs ou canot de sauvetage, tente dressée dans le désert, anfractuosité propice à quelques centimètre duquel passait des bandits bredouilles. J'ai beaucoup voyagé au fond de mon lit. La peur - la terreur même- était toujours présente, malgré la protection des couvertures et de l'oreiller. Le lit: lieu de la menace informulée, espace du corps solitaire, espace forclos du désir, lieu de l'enracinement, espace du rêve et de la nostalgie".
"Le lit est donc l'espace individuel par excellence, l'espace élémentaire du corps (le lit-monade), celui que même l'homme le plus criblé de dettes a pu conserver : les huissiers n'ont pas le pouvoir de saisir votre lit ; cela veut dire aussi - et on le vérifie aisément dans la pratique - que nous n'avons qu'un lit, qui est notre lit ; quand il y a d'autres lits dans la maison ou l'appartement, on dit que ce sont des lits d'amis ou des lits d'appoint. On ne dort bien parait-il que dans son lit". (G. Perec)
Lit = île (Michel Leiris)
John Keats, La veille de Sainte-Agnès (1820):
"Bientôt, tremblante dans son lit moelleux et glacé,
En une sorte d'évanouissement éveillé, inquiète elle s'étend,
Jusqu'à ce que la chaleur endormante du sommeil oppressât ses membres apaisés et son âme lassée,
Sublimée, comme une pensée, jusqu'au lendemain;
Abritée en un bienheureux port contre joies et tristesses;
Fermée comme un missel dans lequel prient les sombres Païens;
Egalement inaccessible à la pluie et à l'ardeur du soleil,
Telle une rose repliant ses pétales, puis redevenant bouton"
Nyctinastie chez la Luzerne marine: A. Feuilles en « position de veille » le jour. B. Feuilles en « position de sommeil » la nuit. Charles Darwin, from The Power of Movement in Plants.
Nyctinastie: Mouvement répondant à la variation jour/nuit. Ces mouvements circadiens se rencontrent uniquement chez les végétaux supérieurs en réponse à l'apparition de l'obscurité. Cela se traduit par exemple par la fermeture des pétales d'une fleur à la tombée du jour ou le repli des feuilles chez la Sensitive (Mimosa pudica) par exemple
La chambre. Le lit. Maintenant: se coucher
"L'espace de notre vie n'est ni continu, ni homogène. Mais sait-on précisément où il se courbe, où il se brise, où il se déconnecte, où il se rassemble?". "Vivre c'est passer de l'espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner (Georges Perec, Espèces d'Espaces)
Il s'agirait de rentrer en grande pompes par le portail du sommeil ou alors plutôt de se faufiler par la petite porte, sans se cogner? Assouplis par une douce ritournelle. L'idéal serait alors que le disque de la ritournelle ne se raye pas.
"La notion que le coucher est quelque chose de naturel est complètement inexacte. Je peux vous dire que la guerre m'a appris à dormir partout, sur des tas de cailloux par exemple, mais que je n'ai jamais pu changer de lit sans avoir un moment d'insomnie : ce n'est qu'au deuxième jour que je peux m'endormir vite. Ce qui est très simple, c'est que l'on peut distinguer les sociétés qui n'ont rien pour dormir, sauf « la dure », et les autres qui s'aident d'instrument. La « civilisation par 15° de latitude » dont parle Graebner se caractérise entre autres par l'usage pour dormir d'un banc pour la nuque. L'accoudoir est souvent un totem, quelquefois sculpté de figures accroupies d'hommes, d'animaux totémiques. - Il y a les gens à natte et les gens sans natte (Asie, Océanie, une partie de l'Amérique). - Il y a les gens à oreillers et les gens sans oreillers. - Il y a les populations qui se mettent très serrées en rond pour dormir, autour d'un feu, ou même sans feu. Il y a enfin le sommeil debout. Les Masaï peuvent dormir debout. J'ai dormi debout en montagne. J'ai dormi souvent à cheval, même en marche quelquefois : le cheval était plus intelligent que moi. Les vieux historiens des invasions nous représentent Huns et Mongols dormant, à cheval. C'est encore vrai, et leurs cavaliers dormant n'arrêtant pas la marche des chevaux. Il y a l'usage de la couverture. Gens qui dorment couverts et non couverts. Il y a le hamac et la façon de dormir suspendu. Voilà une grande quantité de pratiques qui sont à la fois des techniques du corps et qui sont profondes en retentissements et effets biologiques." Marcel Mauss. Techniques du corps
"L'espace a des qualités de refuge, des qualités de protection où l'homme va non pas tant penser que rêver". La chambre est quasiment un corps, presque un corps maternel qui nous reçoit la nuit" (Gaston Bachelard, Poétique de l'Espace)
On se crée chaque soir un espace de sommeil pour que recommence chaque nuit la même histoire des corps. Une ritournelle, un rengaine qui se répète chaque soir, comme Un jour sans fin, en miroir. Pour citer cet éternel optimiste qu'est Cioran: "le sommeil cet avilissement quotidien qui nous conduit vers l’horreur de n’être rien".
"Habiter a pour racine et origine le verbe avoir: celui qui voyage n'a plus rien: le voici alors bien forcé d'être". (Michel Serre, Habiter)
La forme Ritornello était l'une des structures musicales développées à l'époque baroque.
Dans le premier mouvement d'un concerto grosso, plusieurs thèmes s'échangent entre les deux groupes opposés. Le premier groupe s'appelle le tutti, qui signifie en italien "tous" en référence à un orchestre complet jouant ensemble. Le deuxième groupe s'appelle le concertino, qui en italien signifie "petit consort ou ensemble" en référence à un ou plusieurs solistes qui jouent avec et contre le tutti.
Le thème principal - appelé la ritournelle - est joué par le grand groupe et se répète fréquemment pendant le mouvement. Tout comme le refrain d'une chanson est répété après chaque nouvelle série de paroles, une ritournelle est une courte mélodie instrumentale qui revient après que de nouveaux thèmes sont présentés par l'orchestre. La forme Ritornello établit une alternance thématique entre tutti -- solo -- tutti -- solo -- tutti, et ainsi de suite. Une telle répétition thématique permet à une section de musique de se développer en énonçant constamment le thème de la ritornello, en partant de ce thème pour trouver de nouvelles idées musicales et en revenant au thème de la ritornello. Le résultat final donne l'impression d'arriver à la maison.
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Organisation d'une ritournelle
Elle se caractérise par une section A récurrente entre de nouvelles sections de musique et est souvent décrit comme « ABACA », où la section A contient un thème distinctif. B et C sont appelés Épisodes
Organisation du système circadien, alternance jour/nuit, veille/sommeil
SV1SV2S? Le Sommeil comme un thème qui se répète séparé par des épisodes de veille. Pendant la nuit, se jouerait le Tutti et pendant la veille le Solo. Le Sommeil, comme lieu et temps de rejoindre mes multiples ou la multitude? "Nul ne trouverait le sommeil par le moyen de l'endormissement, s'il n'avait la perception intuitive de l'existence des autres hommes. La meilleure explication qui puisse se donner à mon consentement au sommeil réside dans mon assurance de ne pas être le seul à m'endormir, et que toute l'humanité effectue avec moi le même retrait intérieur. c'est au milieu du sommeil des autres hommes que j’installe le mien", Philippe Binilo, S'endormir.
Georges Perec, Espèces d'espaces (chambres)
Que faire quand on doit dormir en dehors de sa chambre? Quand on n'a pas de chambre? de toit?"
"Habiter veut dire se poser, ou mieux encore, se préposer. A partir de cette situation initiale, ou pré-position, la relation vivante pousse tout autour, doucement. Appartement: découpage d'un lieu partiel qui appartient à qui s'y niche, c'est à dire qu'à partir de l'être là, le corps tisse et lance sa densité inchoactive, naturalise l'espace, s'incorpore les choses, domestique les aîtres, apprivoise les abors, comme une plante. Autour des pierres stables pousse la mousse; avoir s'ensuit d'habiter. Donc, errant sans case, je n'ai rien. Comparez l'identité des habitants, fluide, répandue sur les chaises, les tables et jusqu'au jardin, à celle de l'autre, ponctuelle et retirée jusqu'à disparition dans une crevasse de l'âme blessée. Admirez comment Descartes commence par nicher ou nidifier auprès de son poêle chaud, dans l'hiver d'Allemagne, avant de prétendre qu'il est ombre dont le voyage cosmique commence par l'égarement dans une forêt. Michel Serre, Habiter
Francis Alys. Série Sleepers (2011), photographies prises dans les rues de Mexico
Différentes propositions de dispositifs pour dormir sur son lieu de travail, source google Images
Abraham Poincheval au Musée de la Chasse. 13 jours (et nuits) passées dans la peau d'un ours
"La conscience d'être en paix dans son coin propage, si l'on peut dire, une immobilité. L'immobilité rayonne. Une chambre imaginaire se construit autour de notre corps qui se croit bien caché quand nous nous réfugions en un coin. Les ombres sont déjà des murs, un meuble est une barrière, une tenture est un toit". Gaston Bachelard, Poétique de l'Espace
Hokusai, 1819
Travailleurs endormis dans le parc de Ueno, Tokyo, Kon & Yoshida 1986
Variations sur l'Inemuri. « Dormir en étant présent », observé dans l’immeuble Maru Biru, Tokyo. Kon & Yoshida 1986
L'Inemuri. Comment les japonais dorment sur leur lieu de travail? Gestes et « archéologie du présent » au Japon des années 1920 à aujourd’hui. Quelques enseignements pour l’ethnologie francophone
"La dimension du sommeil et de ses variations techniques est abordée par Marcel Mauss. Il semble cependant pour lui que l’humain sommeille pour des raisons biologiques et la question du « pourquoi dort-on ? » ne se pose pas dans son texte. Chez l'ethno-folkloriste japonais Kon Wajirô, le traitement graphique du corps au repos laisse voir deux choses. Une planche illustre les positions de travailleurs manuels endormis en public dans le parc de Ueno à Tokyo. Une autre planche met en scène des employés de bureau assoupis. Ce n’est pourtant pas la position du corps qui distingue ces deux types de sommeils, mais bien la raison de ce sommeil dont l’étude est inaugurée par Kon. Dans le cas des travailleurs couchés, le sommeil vise la récupération des facultés physiques après l’effort. Dans le cas des employés assis, le sommeil vise à affirmer la présence du sujet au sein de la communauté. À la suite de ce moment fondateur initié par Kon, au Japon du moins, de l’étude anthropologique du repos, Brigitte Steger, à qui l’on doit plusieurs ouvrages sur les dimensions multiples du sommeil au Japon (Steger 2004, 2007) offrira des explications plus détaillées sur cette forme de sommeil visant à affirmer la présence de l’acteur dans l’espace social. Alors qu’en Occident, le fait de dormir à son poste passe pour un acte répréhensible, il est un acte admis au Japon puisque celui-ci traduit l’investissement du sujet dans son travail au point de s’y consacrer jusqu’à l’épuisement. Associé à l’arrivée matinale sur le lieu d’emploi et au départ tardif de celui-ci, l’endormissement durant l’activité professionnelle est la preuve la plus totale d’un engagement corporel dans son activité. Dormir en étant présent, inemuri en japonais, une technique du corps qui ne se limite pas à la dimension technique qui intéresse Mauss, mais s’inscrit surtout dans sa dimension symbolique dont l’effet, plus que l’utilité, est à isoler analytiquement"
A l'opposé: quand la ritournelle empêche le sommeil
La Ritournelle comme une rengaine, cet air dans la tête qui empoisonne
Des ritournelles obsédantes, envahissantes aux mélodies dansantes, Andrea Cohen récolte sur France Culture des témoignages de vers d'oreille. Sonates pour un ver d'oreille. Ohrworm en allemand, Earworm en anglais, Tormentone en italien. Fait de touts petits riens, un "air", d'une puissance cependant inouïe. Un tourment, vient de Tormentum: engin à tordre
Les scientifiques ont trouvé un terme pour décrire ce phénomène et évidemment un acronyme: Stuck song syndrome ou IMI, Imagerie musicale involontaire. "En tant que phénomène cognitif spontané, l’IMI peut être considéré à côté d’autres pensées auto-générées telles que l’errance de l’esprit ou la rêverie, qui sont connues pour occuper une part importante de la vie mentale. Les épisodes IMI sont pour la plupart agréables, mais peuvent aussi être dérangeants lorsque ceux-ci deviennent omniprésents. Ce phénomène est-il alors contrôlable ?"
Outil de torture... Un ver qui rentre dans la tête, qui creuse des parcours, des labyrinthes. Un chemin se fait vers l'insomnie
"Le ver d'oreille fait intervenir une région cérébrale, le cortex cingulaire postérieur, un "hub de communication centrale" dans le cerveau qui serait impliqué dans les formes spontanées de cognitions : l’aspect automatique, le fait d’avoir des pensées spontanées, le voyage de l’esprit… ". Les pensées obsédantes nocturnes ("le petit vélo dans la tête"), vectrices d'insomnie pourraient être considérées comme des vers de cerveaux? J'ai cette machine dans ma tête, Cargo de nuit (Axel Bauer, 1984)
Chansons le plus souvent citées comme Earworm: n°1: Bad Romance, Lady Gaga et N°2 (très à propos I can't get you out of my head), Kylie Minogue
L'insomnie, une éternelle rengaine, une ritournelle comme un vinyl rayé. Une musique intérieure qui aurait perdu ses modulations, sa ligne mélodique. Il persisterait une affreuse métrique "amélodique", lancinante. Bad Romance de Lady Gaga a été cité comme le morceau le plus "Earwormable". L'insomnie ça serait comme une métrique répétant à l'infini: "Bad, bad, bad". J'ai mal fait, j'ai mal dormi, je vais mal dormir, je n'y arriverai jamais demain, je suis fichu.
(Voir le lien entre l'insomnie et le Réseau Mode par défaut)
Au 17e siècle, on appelait les airs populaires connus de tous et entendus dans toutes les auberges des ritournelles, au 19e siècle on les renomme des scies. On appelle même encore actuellement scieur (ou snieule) dans le patois Jurassiens une personne qui se répète, qui rabâche, qui traîne, qui ressasse...
L'insomnie, quand la ritournelle devient une scie?
Insomnie, JeanneMarie (2022)
Ne cesse cette mélodie, ces mots qui s'invitent sans merci, nous torpillent sans un bruit
Ne cesse cette tournerie, valse des soucis, qui dans nos nuits écarquillent nos pupilles
Nous réinventons alors nos vies 200 fois par nuit
Insomnie, insomnie. Un somme qui en somme, ne sonne personne. Insomnie
Ne cesse ce charivari, ce fourbis d'ennuis de pacotilles qui nous fichent le tournis
Ne cesse cette litanie, toutes ces broutilles qui dans nos lits nous retournent et nous vrillent
A vrai dire la narcolepsie nous fait plus envie. Roupillon, abandons, inactions. Somnolons
Insomnie, insomnie. Un somme qui en somme, ne sonne personne. Insomnie
J'ai pas fait ceci, j'ai pas fait cela, si j'avais fait, si j'avais fait ça, je me sens coupable, j'en suis pas capable, pourquoi j'ai dit oui, et de toute façon je dis jamais non, c'est une maladie qui pendant que je me le dis, je ne dors pas la nuit (x3)
Ritournelle, rengaine et zinzin chez Barbara
Le Zinzin (1970)
"Une rengaine, un refrain
Quelques notes au matin
Un tout petit zinzin
Charmant petit zinzin, de rien
C'est peu, c'est bien
Une rengaine à midi
Comme on chante à Paris
Je t'aime pour la vie
Tu sais, je me méfie
C'est long, la vie"
Dis, quand reviendras tu (1987)
"A voir Paris si beau dans cette fin d'automne,
Soudain je m'alanguis, je rêve, je frissonne,
Je tangue, je chavire, et comme la rengaine,
Je vais, je viens, je vire, je me tourne, je me traîne"
Qu'avons nous à apprendre sur l'insomnie si on écoute chanteurs et compositeurs?