L'entre-deux des somnambules, de Deleuze à Ralph Gibson

Les somnambules pourraient également être des résistants de la nuit. Ils se déplient, se montrent, se redressent dans la nuit. Comme sur cette photo, ils ouvrent ou plutôt entre-ouvrent les portes du sommeil

Série "The sleepwalker" dans la série La Triolgie, de Ralph Gibson, photographe américain

« Cher lecteur,

Séquences onirique où toutes choses sont réelles. Peut être même plus encore. En dormant, un rêveur réapparaît ailleurs sur la planète, se transformant en au moins deux hommes. Les rêves qu’il fait dans son sommeil fournissent la matière de cette réalité tandis que ses rêves éveillés (=> Bachelard) deviennent ce qu’il pensait être sa Vie. Toujours de sa propre volonté, il se retrouve à dormir de plus en plus. Exhorté par lui-même, cet autre homme (le Dormeur), à revenir à un monde de lumière plus vaste et à une plus grande crédibilité, il accepte sans hésitation. Passant d’une dimension à une autre, il sent que rien n’est laissé en arrière, mais plutôt que tout est toujours avec lui dans l’instant. Sa vie n’est pas plus un mythe que ne l’est celle de n’importe quel autre homme. La clarté est tout ce qu’un homme recherche, ce Somnambule trouve simplement la sienne de l’Autre côté »



A nouveaux des regards, vagues, de somnambules, qui ont bien les yeux ouverts contrairement à la représentation populaire. Comme dans Phenomena de Dario Argento ou Sleepwalker d'Ana Cooley

Les poètes le savent, eux, que les somnambules marchent les yeux ouverts. Depuis Lady Macbeth et sa torche allumée... (" You see, her eyes are open but she cannot see")

"Contemplez-les, mon âme; ils sont vraiment affreux! Pareils aux mannequins; vaguement ridicules;Terribles, singuliers comme des somnambules; Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux. Leurs yeux, d’où la divine étincelle est partie,Comme s’ils regardaient au loin, restent levés. Ils traversent ainsi le noir illimité. Vois! je me traîne aussi! mais, plus qu’eux hébété,Je dis: Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles?
Cocteau, Nul n'est poète que somnambule

"Déjà, mon jeune époux ? Quoi ! l'aube paraît-elle ?
Non ; la lumière, au fond de l'albâtre, étincelle
Blanche et pure, et suspend son jour mystérieux ;
La nuit règne profonde et noire dans les cieux,
Vois, la clepsydre encor n'a pas versé trois heures :
Dors près de ta Néra, sous nos chastes demeures ;
Viens, dors près de mon sein." Mais lui, furtif et lent,
Descend du lit d'ivoire et d'or étincelant.
Il va, d'un pied prudent, chercher la lampe errante,
Dont il garde les feux dans sa main transparente,
Son corps blanc est sans voile, il marche pas à pas,
L'oeil ouvert, immobile, et murmurant tout bas :
"Je la vois, la parjure !... interrompez vos fêtes,
Aux Mânes un autel... des cyprès sur vos têtes...
Ouvrez, ouvrez la tombe... Allons... Qui descendra ?"
Cependant, à genoux et tremblante, Néra,
Ses blonds cheveux épars, se traîne. "Arrête, écoute,
Arrête, ami; les Dieux te poursuivent, sans doute ;
Au nom de la pitié, tourne tes yeux sur moi ;
Vois, c'est moi, ton épouse en larmes devant toi ;
Mais tu fuis ; par tes cris ma voix est étouffée !
Phoebé, pardonne-lui ; pardonne-lui, Morphée

Alfred de Vigny


Les somnambules: des êtres fragiles dans leur situation, à cheval entre 2 mondes mais en rebellion: Ne pas vouloir fermer les yeux, crier, questionner  


Comme dans les poèmes d'Anise Koltz, poète luxembourgeoise, Prix Goncourt de la poésie, Somnambule du jour

 

« Quand je te parle

tous me répondent

tous se redressent

Je ne t’entends presque pas

Le soleil se détourne

quand vous ouvrez vos tombes

pour respirer un peu

Il y a des paroles

qu’on ne peut prononcer

Sur les lignes tendues de nos vies

elles montent et descendent

comme des saltimbanques

des somnambules

qui tombent

quand on les appelle »


 

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